Le projet de Loi qui renforce le manque d’indépendance de L’APD
Belgian Data Protection Authority is on track to be further undermined
Ou « comment tendre l’autre joue à la Commission Européenne »
L’équipe de Charta21 – 31/01/2023
C’est ce jeudi (le 2 février 2023) que sera discuté en plénière de la Chambre des Représentants le fameux projet de loi que le Secrétaire d’État (à la digitalisation) brandit comme étant l’outil destiné à rendre son indépendance et son efficacité à l’Autorité de Protection des Données (APD). A l’évidence, il n’a pas lu son propre projet de loi.
En effet, le projet de loi est loin de remédier aux problèmes que cette institution pourtant capitale a connu ces dernières années : infiltration en son sein de technocrates-lobbyistes, docilité de son président envers le gouvernement et abus de pouvoirs du même président visant à empêcher les directrices intègres, de mener à bien leurs missions de contrôle. Et on en passe.
Toutes les dispositions du projet de loi ont pour objectif, d’une part, de bétonner et d’accentuer la dépendance de l’autorité au pouvoir politique et, d’autre part, de maintenir à sa tête, à jamais, l’équipe de directeurs actuelle que l’ancien président déchu espère pouvoir rejoindre un jour.
Notre Analyse
Les infiltrés du pouvoir politique.
On se souviendra que, malgré l’interdiction formelle contenue tant dans le RGPD que dans la loi actuelle, des membres dits « externes » avaient reçu le droit de siéger à alors qu’ils appartenaient au pouvoir politique. Il avait fallu une intervention musclée de la Commission européenne pour que la Belgique mette fin à cette flagrante illégalité et débarque le dernier ‘intru’, Mr Frank R… .
Que nous propose le projet de loi actuel? Une entourloupe qui consiste à prévoir l’adjonction à l’APD de prétendus « experts » et la possibilité de solliciter des avis de certains « organismes ». Ou comment faire revenir par la fenêtre les lobbyistes du secteur public qui se sont vu remercier, en ce compris et surtout, le sieur Frank R….. et très probablement les autres fonctionnaires qu’il a placés à la tête de tels « organismes » (dans le secteur de la sécurité sociale surtout). L’infiltration de l’APD par le politique est de retour. Et légalisée.
Les avis gênants sur les projets de loi liberticides. On se souviendra aussi des nombreux avis émis par le Centre de Connaissance de l’APD, notamment sur l’usage excessif par l’Etat de données de santé pendant la crise du Covid, sur l’accès au registre UBO (« ultimate beneficial owners ») pour tout un chacun ou encore sur la conservation abusive des données de téléphonie mobile. Ces avis ont souvent révélé des pratiques contraires aux droits fondamentaux, voire carrément liberticides et n’ont dès lors pas toujours plu aux instigateurs de ces projets. Comment donc protéger les gouvernants contre ces avis gênants ?
Tout simplement, en mettant le Centre de Connaissance (autrefois dirigé par Mde. J… , qui a démissionné de l’APD en raison de sa toxicité) hors d’état de nuire. Le projet de loi du Secrétaire d’État propose sa mise à mort en trois étapes : ce service sera désormais requis de travailler dans des délais tellement réduits (qui passeront dans certains cas de 60 à 5 jours !) qu’il ne lui sera en réalité plus possible d’émettre ces avis. Le Centre de Connaissance sera aussi tenu d’absorber toutes les compétences aujourd’hui dévolues au Secrétariat Général (qui ne sera plus en charge que des ressources humaines) et les autres directeurs pourront venir s’immiscer dans le travail du service, afin de limiter ses ardeurs et de s’assurer de sa docilité.
On notera au passage qu’une autre disposition du projet de loi interdit aux directeurs et autres membres du personnel de faire état de faits et informations dont ils auraient pris connaissance dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions … ou comment museler les collaborateurs de l’APD et tenter d’empêcher de futures dénonciations de violations de la loi telles que celles qui ont été faites par les directrices. Le mot d’ordre est clair : on se tait.
Des mandats à vie. Enfin, le projet de loi contient une série de propositions qui, combinées les unes aux autres, auront pour effet de maintenir ses directeurs actuels à la tête de l’APD, sans aucune limite de temps et sans aucune possibilité pour d’autres candidats, d’un jour les remplacer. La limite de deux mandats est en effet supprimée et les directeurs actuels se voient offrir le privilège de pouvoir repostuler à un poste de direction à des conditions plus favorables que les candidats extérieurs. A titre d’exemple, le président actuel de la Chambre contentieuse sera admis à repostuler à sa propre succession aux conditions anciennes, alors que tout autre candidat devrait revêtir la fonction de magistrat. Voilà qui laisse présager de beaux recours en annulation pour cause de violation des dispositions interdisant la discrimination.
Les auteurs du projet de loi n’ont-ils vraiment pas la moindre estime pour les lecteurs pour penser que la manœuvre passera inaperçue ? Comment voir ici autre chose qu’une tentative maladroite de garantir à Mr H… (L’actuel dirigeant de la Chambre contentieuse de l’APD) de garder son mandat tant qu’il le voudra et d’ensuite offrir ladite place à l’ancien président de la Commission Vie Privée, Willem de B…, portant le titre de magistrat. A moins qu’il n’existe d’autres magistrats, sans occupation, à la recherche d’un emploi dans le domaine de la protection des données ?
La manœuvre est d’autant plus inouïe que le projet de loi est l’œuvre, d’une part, de Mr. B… lui-même (qui a fait partie du groupe de travail « révision des lois Vie Privée et sur l’APD constitué par le Secrétaire d’État) et de l’ex-président Mr S… qui ne se cache pas d’avoir co-écrit le projet de loi et multiplie les recours en espérant pouvoir compter sur une erreur procédurale dans sa révocation afin de reprendre sa place de directeur du Secrétariat Général, désormais dépouillée de toute compétence et purement honorifique.
Chacun des co-auteurs a donc visiblement façonné selon ses envies le mandat de directeur qu’il convoite et a mis en place ce qu’il fallait pour le conserver à jamais. La Belgique ferait à nouveau un bel exemple avec des dirigeants perchés 30 ans à la tête d’une autorité de contrôle.
Le ROI au-dessus de la loi. A titre de cerise sur le gâteau, le projet de loi prévoit la possibilité pour les directeurs (par le biais du futur Règlement d’Ordre Intérieur, le « ROI ») de doter l’APD de nouveaux organes alors qu’il s’agit à l’évidence d’une compétence du législateur. En outre, on ne voit pas en quoi les directeurs pourraient en sentir la nécessité (les compétences de l’APD étant prévues par la loi et attribuées, toujours par la loi, aux organes existants). A moins qu’il ne s’agisse d’une nouvelle tentative du démis Stevens de faciliter de nouveaux abus de pouvoir et dépassements de compétences (dans l’hypothèse de son très hypothétique et désastreux retour à laquelle il est le seul à croire)?
Conclusion
On le voit, le projet de loi s’il était voté en l’état aurait pour seul et unique effet de renforcer les causes de tous les problèmes qu’a connu l’APD : son infiltration par des tiers qui endossent les casquettes de juge et partie d’une part, et l’octroi d’un blanc-seing et d’un siège ad vitam aeternam à des dirigeants actuels, révoqués ou prêts à tout pour s’y réinstaller, en contrariété avec les principes les plus élémentaires d’une société démocratique.
Il illustre en somme assez bien le précepte « Tout changer pour que rien ne change» auquel on pourrait ajouter « Ou si, mais en pire».
On regrette en tous cas que le secrétaire d’Etat s’obstine à vouloir réformer cette loi (pour avoir « fait » quelque chose dans ce dossier embarrassant) et refuse toujours d’admettre que le problème n’est pas la loi actuelle (qui est bonne et doit juste prévoir un recours en cas de révocation des directeurs) mais ceux, à savoir les co-auteurs du projet, qui ne l’appliquent pas.
The team @Charta21
Voir: https://www.linkedin.com/pulse/le-projet-de-loi-qui-renforce-manque-dindependance-lapd-charta21/?trackingId=6tIT0TN9YmmvFcZRUyWPAA%3D%3D
Autres informations utiles :
L’avis de l’APD sur le nouvel avant-projet de loi du 08/03/2022 titré : « Le nouveau projet de loi APD menace l’indépendance et le fonctionnement de l’Autorité »